Liens de Sang
Prologue
La contée de Brokheart est dévastée par les guerres, les maladies et les batailles. Les gens deviennent paranoïaques, craignent les adeptes de sorcellerie et les puissants cavaliers qui détruisent les villages. Les villes se montent les unes contre les autres, le monde rapetisse et le roi, en sécurité sur sa péninsule, n'envisage rien pour sauver la contée. Le peuple doit être purgé et remis à neuf...
Chapitre I
Frères de sang
Je courais dans la nuit chaude à m'en rompre les poumons. Mes chaussures à minces semelles imbibées d'eau de la pluie qui s'abattait sur nous, mes longs cheveux noirs collés à mon visage et mes vêtements adhérés à ma peau, je martelais le sol de pas rageurs. J'essayais de maintenir la même vitesse que Lee, mon frère aîné, mais cela m'était impossible. Les jumeaux le suivaient de près et sur son dos, s'agrippait le petit Salem effrayé qui étouffait ses pleurs tandis que moi, le sang battant follement dans mes tempes, j'étais loin derrière eux et Lee ne semblait vouloir rien faire pour m'attendre. Les autres, je les entendais galoper derrière moi. Ces êtres imposants assis sur des montures terrifiantes; d'ignobles créatures aux yeux sombres profondément encrés dans leur orbite, aux membres maigres et décharnés d'une peau grise qui couraient à une vitesse exorbitante sur leurs quatre longues pattes agiles dotées de sabots. Leur tête était celle d'un reptile à la dentition aiguisée et leur corps mince leur permettait d'avancer plus rapidement. Ces monstres possédaient une queue très longue qui se recourbait sur elle-même et leur odorat s'étendait jusqu'à plusieurs kilomètres. Broken Valley était désormais loin derrière nous et notre seul échappatoire, c'était la forêt de Blackwood dans laquelle nous perdions haleine. Comment avaient-ils pu faire ça? Comment avaient-ils pu être aussi inhumains? Cela me paraissait tellement impossible...
Mes pied étaient douloureux et les larmes me piquaient les yeux. J'entendais toujours en écho les hurlements de mon père, les cris de ma mère en pleurs et l'ordre du roi. Je ne voulais pas croire qu'il avait demandé ça...
Après ce qui m'avait semblé des heures d'agonie, Lee s'arrêta pour s'accroupir dans une masse de buissons hauts et feuillus. Nous le suivîmes sans sa cachette. Les branches me déchiraient le visage et les épines me démangeaient, mais je pus enfin reprendre mon souffle. Mon grand frère déposa Salem sur le sol et sortit de son soulier un tissu blanc qu'il s'empressa de défaire pour en extirper une petite lame effilée. Je le regardai avec ébahissement et voulu dire quelque chose, mais rien ne sortit de ma gorge sèche. Je baissai la tête et la recouvrai de mes mains lorsque j'entendis le grondement des créatures qui approchaient. Elles passèrent près de nous et continuèrent leur chemin sous les ordres de leur cavalier. Je pris une profonde inspiration. Ces derniers ne nous avaient pas vus.
Lee, dont le teint pâle contrastait avec ses cheveux très sombres -semblables au miens et à ceux de mes frères- prit enfin la parole en murmurant si bas que je dû m'approcher pour comprendre.
-Écoutez-moi tous attentivement -Salem, cesse de pleurer.
Cesser de pleurer? Le pauvre n'avait que huit ans! Il ne pouvait pas s'en empêcher! Moi-même qui ai six ans de plus que lui, je sentais les larmes salées couler sur mes joues. Ou était-ce seulement la pluie? Je tendis les bras vers lui et le collai contre moi. Je l'entendais sangloter dans mon cou.
-Ils nous trouveront, continua Lee, si nous ne nous séparons pas. Les jumeaux, vous irez vers le Nord et Sam, tu te dirigeras vers l'Est avec Salem.
Je resserrai mon étreinte autour de celui-ci.
-Et toi, alors? lançai-je au grand garçon de seize ans qui me fixait de ses yeux noirs. Où iras-tu et avec qui?
Après un court moment de silence qui n'avait rien pour lui d'un instant de réflexion, il répondit:
-Je partirai seul, vers le Sud.
J'avais confiance en lui, c'était certain. Mais j'avais toujours eu la désagréable impression qu'il se surestimait beaucoup trop. Les jumeaux frissonnèrent l'un contre l'autre. Ils étaient trop terrifiés pour parler.
-Tu es cinglé! Pars avec eux! (je pointai du menton mes jeunes frères identiques) Ils sont jeunes de toute façon et ils auront besoin de toi.
-Non, Sam. Si nous somme trop nombreux, cela ne nous avantage pas. Tout ira bien pour moi. Maintenant, faites ce que je vous dis, fit-il sur un ton sans réplique.
Je ne pouvais rien ajouter. Cela ne mènerait à rien, je le savais. Il souleva son gilet sous nos regards intrigués et alors que je refoulai un cri de protestation, il se coupa la peau au niveau de la hanche droite. Mais qu'est-ce qui lui prenait? Lee n'avait jamais vraiment été saint d'esprit, mais il n'était pas fou au point de se mutiler devant nous. Il souleva ensuite le t-shirt de Salem et approcha de lui son couteau. Le petit avait les yeux fermés et ne se rendait compte de rien. Je l'éloignai en murmurant un ''non'' plutôt bruyant.
-Tu dois comprendre, m'expliqua l'autre. Si un jour, plus tard, nous nous retrouvons, il faut que nous sachions nous reconnaître.
Je restai interdit, protégeant de mes bras le fils cadet de mon père qui venait de mourir.
-La marque se cicatrisera. Sam, tu sais que j'ai raison.
Et c'était vrai. Mais je ne voulais pas l'avouer. Je relâchai très légèrement l'enfant et laissai Lee glisser la lame dans sa chair fraîche. Il fit de même aux jumeaux, puis, il me la tendit. Il voulait que je me le fasse moi-même... À contrecœur, je m'en emparai, découvrais ma hanche et me dessinai un petite entaille saignante qui brûlait comme le feu. Je lui remis ensuite le couteau dans une grimace de douleur.
-Maintenant, filez, conclu-t-il.
Il poussa les deux autres à s'enfuir et me fit signe de les imiter. Je lui lançai un dernier regard suppliant avant de soulever Salem et de me remettre à courir.
Mes jambes étaient épuisées et me faisaient souffrir. La pluie rendait le sol boueux et j'aurais donné n'importe quoi en ce moment pour avoir des vêtements secs. Une fois que je me fus suffisamment éloigné, je déposai le gamin sur le sol mouillé et m'étendis à ses côtés, l'entourant de mes bras. Je grelottais de froid et j'avais peur. Qu'allait-il m'arriver, maintenant? Comment pourrions-nous nous en sortir? J'entendis des cris venant de loin. Des voix familières s'époumoner. Ils avaient les jumeaux. Et du coup, la moitié de ma famille sera morte, cette nuit.
Ma mère chantonnait tout en versant dans une tasse de porcelaine blanche comme la pureté même un thé liquide et fumant qui s'échappait de notre théière très ancienne. Elle avait appartenue à mes arrières-arrières grands-parents et elle était précieuse à nos yeux. Mon père, Aurior, remerciait sa femme de ses bons services et pigea sur la planche de pain frais coupé une tranche à la croûte épaisse à la mie moelleuse. Sans qu'il le sache, Hanah lui lança un regard noir avant de se diriger vers la chambre de ses enfants pour les avertir que le goûter était servit. Cinq garçons sortirent de la petite pièce piteusement aménagé. Ils avaient beau être pauvre, ils étaient heureux et ce, tant qu'ils ignoraient les problèmes de leurs parents. L'un d'eux, le plus vieux, avait des yeux intelligents et une façon toujours irréprochable de faire les choses. Il était brillant, futé, rapide et calculait tout. Et pourtant, sa mère le craignait parce qu'elle trouvait anormal qu'à son âge, on sache tant de choses. Surtout parce qu'il ne posait jamais de questions. Le médecin de Broken Valley l'avait aussi avertit qu'il n'était pas comme les autres et que cela dépendait sans doute d'un trouble mental. Le deuxième enfant était un peu plus petit que son aîné et s'inquiétait toujours pour les autres. Le bien de ceux qu'il aimait était très important et il se préoccupait d'abord de ce que sa famille voulait avant lui. Le cœur généreux, il offrait fréquemment son aide à ses parents pour la cuisine, les travaux, le ménage et ces derniers l'adoraient. Deux d'entre les cinq fils étaient parfaitement identiques. Ils étaient timides et ne parlaient presque jamais et lorsque c'était le cas, ils le faisaient de façon impeccablement synchronisé. Tandis que le dernier, le plus jeune et le plus adorable, lui, voulait toujours tout savoir. De nature curieuse, il posait souvent trop de questions et les gens négligeaient parfois de lui répondre. Mais alors que les merveilleux enfants s'apprêtaient à s'asseoir à table, on frappa brutalement à la porte. Poussant un long soupir d'exaspération, Hanah alla répondre. Elle n'eut pas ouvert entièrement la porte qu'elle se fit brusquement pousser par un homme très gras à l'aspect sévère, encadré de deux cavaliers vêtus d'armures sous une large et ample cape noire. L'homme possédait à ses doigts un nombre indéchiffrable de bagues dorés et ornés de diamants et un habit bleu flamboyant doté de boutons et d'ornements or et argent étincelants à la lueur des chandelles. Son ventre rond était si énorme qu'il prenait à lui seul une bonne partie de la cuisine. Les jeunes reconnurent alors le roi de la contée. Il brandit dans ses mains dodues un rouleau de parchemin que l'un des gardes prit avant de le dérouler grossièrement et de le lire à haute voix.
<<À monsieur Aurior, fils de Saur.
Vous avez été aperçu, à l'aube du 13 juillet dernier à concocter une potion dont l'origine des ingrédents nous est encore inconnue. Notre source nous a affirmés vous avoir entendu prononcer des paroles étranges et que cela aurait fait réagir la mixture dans laquelle vous vous affairiez. Pris de panique, cette même source nous en a avisé le soir-même et votre châtiment a été rédigé dans les plus brefs délais. Vous êtes accusés de sorcellerie et nous vous informons donc, monsieur le fils de Saur, que vous êtes en cette soirée du 15 juillet, condamné à mort dès lors que la lune atteignera sept heures, dans le ciel.>>
-Veuillez me suivre, Aurior, ajouta le roi.
La famille à l'intérieur de la maisonnée resta bouche bée. La femme du condamné devint alors hystérique.
-Vous ne pouvez pas l'accuser comme ça, sans preuves!
-Madame, je suis roi de Brokheart. Je peux très bien le faire.
Ils emmenèrent alors le père des cinq enfants qui n'avaient comme option que de regarder leur mère pleurer, à genoux sur le sol.
Je m'éveillai complètement dévasté. Je venais de revivre pour la deuxième fois, mais en cauchemar, l'arrestation de mon père. Je me mis à avoir peur que ce rêve hante à jamais mes nuits et que je ne connaisse plus que le sommeil tourmenté. Je ne parvins pas à me rendormir, craignant voir à nouveau dans mes songes les évènements de la veille. Quelques heures plus tard, le soleil étant toujours caché derrière l'épaisse masse de nuages gris, je m'assied et frottai mes yeux rougis par la fatigue. Mes doigts en furent mouillés de larmes. J'entendis des voix plus loin. Il nous fallait fuire à tout prix. Je me souvins des cris lancés par mes deux jeunes frères la nuit passé et un liquide salé parvint jusqu'à mes lèvres. Lee s'en était-il sortit, lui? Et où était-il, maintenant? Je secouai doucement Salem qui ouvrit ses grands yeux injectés de sang. Je savais bien qu'il était épuisé - et peut-être même plus que moi- mais nous n'avions pas le choix.
-Salem, mon grand, lui dis-je d'une voix tendre, nous devons partir. Lève-toi.
Il se redressa sur son séant, ses mèches folles ébouriffés sur sa tête. Je l'aidai ensuite à le mettre sur ses pieds et étirai mes bras vers le ciel nébuleux. J'avais toujours l'impression que ce que je venais de vivre n'était qu'un affreux malentendu et que ma mère s'approcherait dans quelques minutes pour m'apporter mon petit déjeuner.
-Sam, tu as de l'or?
Décidément, il était plus intelligent que je le pensais.
-Non, répondis-je avec difficulté. Mais ça va aller. Viens.
Doucement, j'enlaçais ses petits doigts autour de miens et me dirigeai vers l'Est de la forêt, comme me l'avait indiqué mon aîné. Les arbres nous abritaient et il ne pleuvait plus, mais nos vêtements étaient entièrement détrempés. Heureusement, la température ne devait pas être en dessous de vingt degrés.
...